La Seconde Guerre mondiale en Iran
par Morgan Lotz
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Saviez-vous que des réfugiés polonais furent accueillis en Iran ? Que le consul d’Iran à Paris sauva plusieurs milliers de Juifs condamnés à la déportation ? Que ce même consul put compter sur l’aide d’un médecin ouzbèk et d’un avocat mulhousien ? Que des Iraniens s’engagèrent dans l’armée française en 1940 ? L’Histoire de la Seconde Guerre mondiale en Iran est très fortement méconnue en Occident, voire oubliée pour la plupart de ces aspects.
Cet article commencera par présenter un résumé de la Première Guerre mondiale et étudiera brièvement l’évolution politique et historique de l’Iran au cours des années 1920 et 1930 pour mieux comprendre le contexte de la Seconde Guerre mondiale en Iran. Une première partie présentera l’invasion de l’Iran en 1941, une seconde ses aspects les plus méconnus et enfin une troisième présentera la période comprise entre 1942 et 1945.
La Seconde Guerre mondiale en Iran
Troisième partie : La fin de la Seconde Guerre mondiale et l’après-guerre en Iran (1942-1947)
- Le « Corridor perse », objectif de l’invasion de l’Iran
Une fois l’Iran conquis et contrôlé par les Soviétiques et les Britanniques, le matériel militaire américain peut enfin être acheminé depuis les ports du golfe Persique jusqu’en Union soviétique à travers un cheminement qui est surnommé le « Corridor perse ». Les Etats-Unis décident de renforcer leur implantation avec l’envoi d’une force militaire, dont la principale mission est de maintenir les voies de chemin de fer iranienne et d’assurer l’efficacité des convois. De leur côté, les Soviétiques déploient des troupes au Moyen-Orient afin de soutenir les Britanniques.
Insigne du Persian Gulf Service Command.
Les troupes américaines participent à l’acheminement sous le commandement du Persian Gulf Service Command, dénommé dans un premier temps Iran-Irak Service Command, et placé sous les ordres du général de brigade Donald H. Connolly. Il succède en octobre 1942 à la mission militaire américaine commandée par le colonel Son G. Shingler déployée avant l’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941.
Provenant des Etats-Unis ou du Canada, le matériel était acheminé par voie maritime jusqu’aux ports irakiens de Bassorah et Umm Qasr et iraniens de Bandar Abbas, Bandar-é Shahpour (aujourd’hui Bandar Imâm Khomeyni), Tshâbahâr, Khorramshahr, Boushehr, Assalouveh, Mahshahr. Le matériel est ensuite affrété en convois ferroviaires ou routiers en direction d’Achgabat ou Bakou via Téhéran pour être ensuite convoyé soit par route, soit par transport maritime vers les ports de Bakou et Makhatchkala (en Russie) depuis les ports de Bandar Anzali, Noshahr, Bandar-é Shâh (aujourd’hui renommé Bandar Torkoman), port Amir Abad et Fereydoun Kenar, situés sur les côtes de la mer Caspienne au nord de l’Iran.
Travailleurs iraniens chargeant un train de marchandise du Persian Gulf Service Command.
D’autres convois reliaient directement Qazvin en partant de Basorah et Beslan depuis Dzhulfa sans passer par la capitale. Les convois remontent du sud vers le nord en passant par les villes de Andimeshk, Shiraz, Malâyer au sud, Ispahan, Khorram Abâd, Hamadân, Qom et Kâshân au centre, Karadj, Téhéran, Semnân, Shahroud et Sâri au centre-nord, avant de se diriger soit vers Mashhad au nord-est pour rejoindre le port de Türkmenbachi et les villes d’Achgabat et Serdar au Turkménistân, soit vers Zandjân, Miâneh, Tabriz au nord-ouest pour rejoindre les villes de Lankaran (Azerbaïdjân), Erevan (Arménie), Tbilissi (Géorgie) et Beslan (Ossétie du Nord).
Les moyens déployés par les Alliés pour acheminer le matériel par le corridor iranien fut véritablement colossal : avec l’aide du Commonwealth britannique, les Etats-Unis livrèrent aux Soviétiques plus de 5 millions de tonnes de matériel et de ravitaillement destiné aux troupes d’occupation en Iran. Une partie du matériel rejoignait le front nord-africain après août 1943, année durant laquelle l’Afrique du Nord fut libérée des Allemands, permettant ainsi la navigation des convois alliés dans la Méditerranée en passant notamment par le canal de Suez. Il faut cependant attendre l’entrée en guerre de la Turquie contre l’Allemagne le 25 février 1945 pour qu’elle autorise les convois de ravitaillement à circuler sur son territoire ou à franchir la mer Noire.
Carte présentant les routes suivies par les convois du Persian Gulf Service Command.
Les convois étaient répartis entre le Quatermaster Corps américain et le Royal Army Service Corps britannique, suppléés tous deux par un personnel civil regroupant des manœuvres, des comptables et des ingénieurs. Les Américains sont en cette période appréciés de la population en raison de l’inexistence d’un passé colonial en Iran, contrairement aux Russes et aux Anglais. Des conseillers américains furent d’ailleurs détachés auprès du gouvernement iranien ou des forces armées, à l’image du colonel Herbert Norman Schwarzkopf, ancien commissaire de police du New Jersey, qui fut chargé de 1942 à 1946 de la formation de la gendarmerie impériale[1].
- Evolution politique de l’Iran entre 1942 et 1945
- Conséquences immédiates pour l’Iran
Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale seront des plus désastreuses pour l’Iran, non seulement en raison de l’irrespect des Occidentaux envers sa neutralité, mais également en raison de la perte soudaine et brutale de son indépendance.
La mainmise sur les ressources iraniennes par les Britanniques, les Soviétiques et nouvellement les Américains, provoquent des conséquences des plus préjudiciables pour les Iraniens : les principales routes du pays, ainsi que le réseau ferré, sont sous leur contrôle, la main-d’œuvre utilisées pour l’effort de guerre étant bien entendu des ouvriers iraniens forcés de travailler et sous-payés. Le peu de ressources disponibles pour l’agriculture entraîne une mauvaise récolte en 1942, provoquant une famine dont mourront plusieurs milliers d’Iraniens, déjà éprouvés par l’important afflux de réfugiés venus d’Europe qu’ils reçurent du mieux possible compte tenu des circonstances et du manque de nourriture partout dans le pays. L’instabilité politique est la plus totale et le nouveau souverain doit son pouvoir au soutien d’abord britannique, puis américain, dont il n’est qu’une simple marionnette à laquelle n’est conféré qu’un pouvoir sobrement protocolaire.
Un convoi du Persian Gulf Service Command traversant l’Iran.
En janvier 1942 est signé entre l’Iran, l’URSS et la Grande-Bretagne un traité reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de l’Iran, ainsi que son intégrité, en échange de sa pleine coopération logistique, mais non militaire, avec ses occupants. De plus, les envahisseurs promettent de sauvegarder l’économie iranienne des conséquences de la conflagration, ainsi que de quitter le territoire iranien « pas plus de six mois après la cessation des hostilités », conformément au cinquième article de l’accord. Au printemps, l’Iran n’entretient définitivement plus aucune relation avec les puissances de l’Axe et l’ensemble de leurs ressortissants sont expulsés. L’Allemagne mène toutefois durant l’été l’opération Fall Blau, destinée à s’emparer des zones pétrolifères de Bakou[2].
- La Conférence de Téhéran (28 novembre – 1er décembre 1943)
L’Iran déclare officiellement la guerre à l’Allemagne le 9 septembre 1943, peu de temps avant la conférence dite des « Trois Grands » qui se tint à Téhéran du 28 novembre au 1er décembre 1943, au cours de laquelle Franklin D. Roosevelt, Winston Churchill et Joseph Staline, respectivement président des Etats-Unis, Premier ministre britannique et secrétaire général du Parti communiste soviétique, délibérèrent et adoptèrent l’action politique et militaire convenue à l’égard du IIIème Reich et de l’Empire du Japon. C’est également au cours de cette conférence que Roosevelt présente à Staline le projet des Nations Unies à travers l’idée d’une organisation internationale regroupant les Etats afin d’exposer et de résoudre leurs différents.
L’entrée de l’Iran dans le conflit mondial fut surtout la condition préalable à la disposition d’un siège iranien au futur Conseil des Nations Unies, dont la Déclaration est signée par le Shâh. Les historiens occidentaux n’ont retenu de cette conférence que cette décision ; pourtant, c’est durant cette conférence de Téhéran qu’est signée la « Déclaration des trois puissances concernant l'Iran », attribuant la fourniture d’une assistance économique jusqu’au terme du conflit et au-delà. De plus, cette déclaration engage les trois protagonistes à respecter la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Iran. Nous verrons dans un autre article que cela ne fut pas le cas pour les Soviétiques qui ne quittèrent l’Iran qu’en mai 1946 sous la pression de l’ONU nouvellement créée (les Britanniques et les Américains s’étaient quant à eux retirés en janvier 1946). Le sort de la Turquie et de l’Iran sont âprement discutés et donne lieu à la signature le 1er décembre par les trois puissances alliées d’un protocole reconnaissant les préjudices subis par l’Iran et la nécessité d’instaurer une aide économique pour la reconstruction du pays.
Mohammad Rezâ Shâh saluant Winston Churchill à l’occasion de son anniversaire le 30 novembre 1943.
Téhéran est également durant cette période la scène d’un affrontement plus secret et plus mythique entre les services de renseignements alliés et allemands. Des rapports du NKVD, les services de contre-espionnage soviétiques, attestent du projet d’assassinat des trois dirigeants par des commandos allemands conduits par Otto Skorzeny, officier SS dont la légende s’est forgée autour de son audace lors de missions particulièrement périlleuses, comme ce fut par exemple le cas lors de l’opération Eiche[3]. Le responsable de la sécurité de Roosevelt, Mike Reilly, informé plusieurs jours avant la tenue de la conférence, est chargé de sécuriser la capitale et la légation américaine où Roosevelt est sensé s’installer le 27. Avant son retour au Caire, le NKVD l’informe du parachutage la veille de plusieurs dizaines de commandos allemands sur Téhéran. En réalité, la situation fut moins dangereuse que voulurent bien le faire croire les Soviétiques : en effet, bien que les services de renseignement britannique et américain nient l’existence d’une telle opération, Otto Skorzeny confirmera que cette dernière fut envisagé mais immédiatement rejetée par Hitler avant toute planification puisque jugée irréalisable.
- Conclusion
Les troupes américaines et britannique quittent l’Iran en janvier 1946, conformément à leurs engagements. Cependant, les Soviétiques, qu’animent d’expansionnistes desseins en Azerbaïdjân iranien, refusent de se retirer du nord-ouest du pays, en proie depuis novembre 1945 à des révoltes sécessionnistes menées par des gouvernements séparatistes soviético-communistes proclamant l’indépendance de cette région. Débute alors la crise irano-soviétique, considérée comme le commencement de la Guerre froide entre les puissances américaine et soviétique. Nous retracerons dans un autre article cet épisode de l’Histoire moderne de l’Iran, parmi les plus importants pour comprendre le nationalisme iranien et l’influence qu’eurent les Etats-Unis sur la politique intérieure iranienne durant le règne de Mohammad Rezâ Shâh Pahlavi.
En 2009, le président de la République islamique d’Iran Mahmoud Ahmadinejâd adresse une lettre au secrétaire général de l’ONU afin de réclamer une indemnisation pour l’occupation de l’Iran et les préjudices subis par le peuple iranien de 1941 à 1946. Il déclare publiquement : « Nous réclamerons des compensations pour les dommages de la Seconde Guerre mondiale qu'a subi notre pays. J'ai désigné une équipe pour le calcul des coûts, j'écrirai une lettre au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon demandant à ce que l'Iran soit dédommagé. Pendant cette période la population iranienne a subi une lourde pression et le pays de lourds dégâts mais l'Iran n'a jamais reçu aucune compensation à ce jour. » L’ONU se distinguera par l’élégance de son absence de réponse… L’Iran n’a à ce jour jamais été indemnisé pour son invasion et son occupation durant la Seconde Guerre mondiale.
La Seconde Guerre mondiale en Iran – Deuxième partie
[1] Le colonel Schwarzkopf sera en 1953 l’un des organisateurs de l’opération AJAX et durant plusieurs années l’un des formateurs de la tristement célèbre Savak. Son fils, Norman Schwarzkopf, ancien élève de la Community High School de Téhéran, deviendra célèbre en menant la guerre du Golfe dans les années 1990.
[2] Dernière phase de l’offensive, l’opération Edelweiss conduite de juin à septembre 1942 sera un échec pour les Allemands qui ne parvinrent à conquérir l’Azerbaïdjân et à conséquemment rompre le Corridor perse.
[3] L’opération Eiche, menée le 12 septembre 1943, permit de libérer Benito Mussolini retenu prisonnier au Campo Imperatore, en Italie.