De l'Arménie à l'affaire Mahsa Amini :
un mois de septembre 2022 qui interpelle sur les enjeux géopolitiques
Par Morgan Lotz
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Version complétée au 22 janvier 2023 de l'article publié le 2 octobre 2022.
L'actualité récente en Iran fait les choux gras de la presse occidentale jamais lasse de fusiller l'Iran dans l'opinion publique et d’hystériser le sujet des femmes en Iran. Les émeutes survenues après le décès de Mademoiselle Mahsa Amini en sont une triste illustration. Loin de nous l'idée de minimiser sa tragique disparition, mais l’actualité dans la région ce mois-ci nous interpelle et pousse à des interrogations sur lesquelles il nous semble nécessaire de s'interroger. Tout d'abord, le contexte régional doit être étudié pour comprendre les conséquences qu'un chaos en Iran peut entraîner.
Les événements en Irak
La situation devient explosive dans la nuit du 29 au 30 août après que l'ayatollah Moqtada al-Sadr ait annoncé sa décision de quitter la vie politique irakienne. Dès lors, ses partisans prennent d'assaut la Zone verte, quartier sécurisé de Bagdad qui abrite nombre d'ambassades, ainsi que les lieux de pouvoir dont le Parlement qui est envahi par la foule. Des affrontements armés dans plusieurs grandes villes irakiennes s'ensuivent et des attaques ont ciblé des éléments en lien avec l'Iran :
- le domicile d'Abou Azrâ'il, célèbre combattant des Hashd al-Sha'bi, ciblé par des tirs d'arme automatique ;
- un centre du parti Da'wa incendié à Babel ;
- un centre des Asâ'eb Ahl Haq incendié à al-Diwâniya ;
- la mosquée al-Sâdiqîn incendiée dans le quartier Ur, situé à l'est de Bagdad.
Figure particulière dans la vie politique en Irak, Moqtada al-Sadr représente le courant nationaliste, se rapprochant tantôt de l'Iran, tantôt de l'Arabie saoudite, et défendant un Irak libéré de la tutelle américaines et de l'influence iranienne, tandis que les Hashd al-Sha'bi sont pour une part importante pro-Iran.[1]
Les attaques contre des Hashd al-Sha'bi, succédant à celles essuyées contre Dâ'esh ces derniers jours, provoque une vive inquiétude. Si la responsabilité du parti sadriste s’était confirmé, cela aurait signifier une guerre entre shî'ites : cependant, la suite des évènements démontre que la situation au Moyen-Orient est bien différente. De plus, des attaques ciblant les Hashd al-Sha'bi, ce rassemblement de groupes combattants ayant vaincu sous le commandement de feu le général Qâsem Soleimâni le mouvement terroriste Dâ'esh, peuvent être interprétées comme une attaque directe contre l'Iran qui a permis par son intervention la protection et la stabilité en Irak, ainsi que la neutralisation de la menace terroriste au Moyen-Orient.
La Russie, toujours présente en Syrie à la demande du gouvernement syrien, avait annoncé ce qui se passe en indiquant le projet américain de faire assassiner Moqtada al-Sadr par des moudjahidins du peuple. Ces derniers constituent un groupe terroriste de pensée marxiste connu en Occident sous l'acronyme OMPI (Organisation des Moudjahidins du Peuple iranien). Soutenu notamment par les États-Unis, Israël et la France, ce groupe terroriste est responsable de la mort de 17 000 Iraniens lors de multiples attentats commis depuis 1979. Ils participèrent également à l'opération Mersad en 1988, en attaquant l'Iran dans les rangs de l'armée irakienne. Ils sont connus en Europe pour leur falsification de l'Histoire en hurlant avoir eu 30 000 morts à la suite d’une répression consécutive à l'opération Mersad, cependant il n'en est rien. Seul 2500 personnes avaient été condamnées à mort pour des actes terroristes ou des trahisons en faveur de l'Irak. L'OMPI est également responsable du génocide des Kurdes d'Irak en 1991 lors de l'opération Perle durant laquelle 5000 personnes furent exécutées dont 2000 enfants enterrés vivants. Les moudjahidins disposaient de 2012 jusqu'en septembre 2016 d'une base militaire en Irak, le « camps Liberty », installés et protégés par les Américains. Cependant, leur récente installation dans la base américaine de Ayn al-Asad en Irak va éveiller la suspicion des Russes qui préviennent aussitôt leurs alliés.
L'assassinat de l'ayatollah al-Sadr aurait ainsi permit d'accuser Téhéran. Le déploiement des moudjahidins dans la région n'est pas anodin et ne peut que signifier que quelque chose se prépare.
L'Albanie
Le 7 septembre suivant, l'Albanie annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec l'Iran après une cyberattaque et ordonne à tous les diplomates iraniens et au personnel de l'ambassade iranienne de quitter le pays dans les 24 heures suivantes. Cette rupture des relations intervient au moment où l’OMPI, qui dispose également d'une base dans ce pays à Ashraf, organisait une assemblée générale.
Le conflit arméno-azéri
Le 13 septembre, les combats reprennent entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ce dernier poursuivant l'offensive entamée en septembre 2020 et avançant sur 7 kilomètres dans les terres arméniennes selon les dires du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. L'Arménie n'est dès lors reliée à l'Iran que par son étroit corridor terrestre large de 20 kilomètres, dénommé dans le vocabulaire pan-turquiste le « corridor de Zangezur » censé relier l’Azerbaïdjan à sa région du Nakhitchevan frontalière avec la Turquie. De son côté, le gouvernement turc annonce que 45 000 militaires appartenant à ses corps de réserve sont déployés le long de la frontière turque avec l'Arménie en vue de soutenir l'Azerbaïdjan. Conséquemment, les forces armées iraniennes renforcent leur dispositifs militaires à leur frontière commune avec les deux pays et des responsables iraniens déclarent officiellement que leur pays n'acceptera aucune modification des frontières existantes, autant pour l'Iran que pour l'Arménie.
Le narratif d'une Arménie chrétienne assaillie par le monde islamique s'effondre de lui-même devant la réalité : l'Iran, premier partenaire commercial de l'Arménie dont furent d’ailleurs originaires les plus grands généraux de Shâh ‘Abas (1571-1629), n'est guère en phase avec le régime azerbaïdjanais et son président Aliyev soutenu par la Turquie et Israël qui lui fournit du matériel, notamment des drones, et déploie ses forces dans quatre bases du Mossad dans ce pays pourtant shî'ite mais dont Aliyev combat l'influence au profit d'une vision nationaliste pan-turquiste. Or, ce grand pays turque englobe l'actuelle Turquie et l'Azerbaïdjan qui comprend selon cette vision l'Arménie et la région du nord-ouest de l'Iran qui se nomme l'Azerbaïdjan iranien, peuplée d'Azéris appartenant ethniquement à la famille des peuples turcs. Nous comprendrons par la suite en quoi cette précision est importante.
Le 16, des affrontements armés éclatent le long de la frontière entre le Kirghizistan et le Tadjikistan. L'Azerbaïdjan et le Tadjikistan partagent le point commun d'être des peuples turcs et d'entretenir des relations avec le président turc Erdogan qui rêve de ressusciter le Touran, ce grand pays des Turcs qui affrontèrent les Iraniens dans les temps mythiques, conquêtes et empires qu'ont si bien conté Ferdousi dans le Livre des Rois et André Malraux dans Les Noyers de l'Altenburg, sans toutefois tombé pour ce dernier dans l’illusion de sa résurrection, en témoigne ce passage où le personnage Vincent Berger est délivré de ses illusions par l’humiliation qu’il subit dans le bazar de Ghazni, en Afghanistan.[2]
Le 19, à Ankara, un groupe de réflexion azerbaïdjanais publie un compte rendu de ses travaux énonçant la nécessité de créer une nouvelle République turque Goycha-Zangezur pour « la stabilité et la paix ». En regardant sa carte, nous constatons que cette république empiète sur l'Azerbaïdjan iranien.
Les émeutes en Iran
Dès l'annonce par les autorités iraniennes du décès de Mademoiselle Amini survenu le 16 septembre 2022, des dizaines de milliers de messages sur les réseaux sociaux apparaissent, parfois même sur des comptes portant son nom, et reprennent le hashtag « Mahsa Amini » sur Twitter. Il n'en faut pas plus pour que les organisations subversives à la République islamique d'Iran s'engouffrent dans la brèche et inondent les réseaux sociaux iraniens d'une désinformation qui provoquent des manifestations composées de personnes qui ne connaissaient aucunement les détails de cette affaire et se firent ainsi leurrer. L'Iran n'échappe guère à l'ignorance et aux avis de comptoir qui se répandent à la manière d'une gangrène sur les réseaux sociaux, avec leurs lots de bêtises et de mensonges
Les Kurdes manifestent, sensibles à la perte de l'une des leurs, et le président du Kurdistan irakien, Masoud Barzani, téléphonera même à la famille de la jeune disparue, de même que le président iranien, Ebrahim Raïsi. Les Kurdes ne devraient guère oublier le rôle déterminant des Défenseurs du Sanctuaire iraniens qui les protégèrent ainsi que les Yézidis contre Dâ’esh lorsque le monde entier les avait abandonnés à Erbil (en Irak)...[3] Parler d'un racisme iranien à leur encontre est aussi déplacé que ridicule.
Les manifestations dégénèrent en émeutes lorsque des moudjahidins et des partisans du parti Komala (kurde communiste) profitent de la situation pour semer le chaos, étant parfaitement organisés et armés. Les images des motards transmettant des consignes à divers groupes et des armes saisies témoignent en ce sens. Plus grave encore, 65 pistolets de fabrication américaine, ainsi que leurs munitions, sont découverts à Diwandara, dans le Kurdistan iranien et 142 fusils de chasse en Azerbaïdjan occidental ; ces armes devaient être distribués pour permettre à des individus d'abattre des manifestants et conséquemment provoquer le chaos dans le pays. Des fusils d'assaut, des dollars ainsi que du matériel technologique sont également saisis par la police iranienne.
Vidéo : Armes saisies par la police iranienne
Le soupçon d'une action coordonnée contre l'Iran apparaît dans les cibles des émeutiers : des policiers sont brûlés vifs, poignardés ou égorgés[4], des ambulanciers pris pour cible et parfois exécutés[5], des pompiers attaqués et empêchés d’intervenir dans des situations d’urgences, des femmes se faisant arracher les vêtements, des civils pacifiques poignardés. Ce sont bien des points névralgiques du pays qui sont visés. Mais le plus inquiétant sont ces faits : un homme passé à tabac et menacé d’être décapité à Téhéran, un adolescent égorgé à Rasht au cri moqueur de « Hossein ! Hossein ! », des affiches commémoratives des vétérans de la guerre imposée par l'Irak (1980-1988) et de la guerre contre Dâ'esh brûlées, ainsi que des portraits du général Soleimani incendiés. L'ombre du mouvement takfiriste est bien là ! Si le fait que Mademoiselle Amini soit de confession sunnite peut éventuellement expliquer une mobilisation accrue parmi ses coreligionnaires pour certains enclins à la rébellion contre la république shî'ite (en majorité des Arabes du Khouzestan, des Baloutches et beaucoup plus modestement des Kurdes), il est très clair que ces faits évoqués correspondent aux méthodes et à la pensée des takfiristes de Dâ'esh. L'arrestation de certains d'entre eux prouvent leur présence parmi les fauteurs de trouble.[6] Que pouvons-nous alors en déduire, si ce n'est une réelle offensive contre l'Iran en y infiltrant ses pires ennemis. Ennemis takfiristes qui furent notamment transférés de Syrie en Azerbaïdjan lors de l'offensive du Haut-Karabakh en 2021 par la Turquie…[7] Il en va de même pour des mercenaires libyens engagés par la société privée turque Sadat.[8] Valérie Toranian écrit à ce sujet : « Erdogan a promis un « soutien total du peuple turc à ses frères azerbaïdjanais ». « Avec tous nos moyens », a-t-il précisé sur Twitter. Parmi ces « moyens » l’envoi de mercenaires syriens islamistes payés par l’État turc, unis sous la bannière de l’ANS (Armée nationale syrienne). Ceux-là même qu’Erdogan avait envoyés à la rescousse de Faïez Sarraj, chef du gouvernement de Tripoli pour repousser Haftar, chef de l’Armée nationale en Libye. Ceux-là même qui avaient pourchassé les Kurdes en Syrie […] On peut sans peine imaginer ce qui se produira lorsqu’ils pénètreront en territoire arménien. »[9]
Vidéo : Ambulances attaquées et ambulancier brûlé vif
Vidéo : Ambulance attaquée
Vidéo : Policier poignardé en plein cœur à Téhéran
Vidéo : Basidji égorgé. On peut entendre « Termine-le ! » prononcé par un terroriste de Dâ'esh
Vidéo : Policier égorgé
Vidéo : Homme passé à tabac et menacé d’être décapité à Téhéran
Vidéo : Adolescent égorgé à Rasht au cri moqueur de « Hossein ! Hossein ! »
Vidéo : Affiche commémorant la Défense sacré incendiée à Téhéran
Vidéo : Affiche à la mémoire du général Soleimâni incendiée à Téhéran
Alors que les médias occidentaux parlent de 75 morts recensés au soir du 26 septembre, citant l’« ONG » Iran Human Rights (IHR)[10], ces derniers ne précisent pas combien de membres des forces de l’ordre furent tués. Les premiers morts furent d’ailleurs des policiers pris au piège par les flammes dans leur commissariat incendié. Un tel manque de précision sème le doute quant au bien-fondé de l’accusation de « répression » visant les institutions iraniennes, dans la mesure où la plupart des victimes seraient des forces de l’ordre et civils pacifiques pris pour cible par les émeutiers. Le 1er octobre, le ministère de l’Information iranien annonce le sabotage de deux avions de lignes, preuve s’il en fallait encore qu’il ne s’agit pas là de « manifestations pacifiques ». Parmi les infrastructures visées, le directeur de l’Organisation iranienne des Urgences, Monsieur Dja’far Miadfar, dénombre 85 ambulances endommagées et rendues hors-service, ainsi que 10 ambulanciers blessés durant les émeutes. Le bilan s’alourdit encore le 2 octobre avec le décès de deux basidjis, Mehdi Zâhdaloui à Qom et Modjtaba Amiri Domâri à Qeshm.
Réflexions sur les événements en Iran : quels intérêts au chaos en Iran ?
Le 24 septembre, la force terrestre du Corps des Gardiens de la Révolution islamique vise « les quartiers généraux et les centres des organisations terroristes opposées à la révolution islamique dans la région du Kurdistan irakien par des tirs d’artillerie »[11], répondant ainsi aux organisations kurdes iraniennes stationnées dans la région du Kurdistan irakien hostiles à l’Iran et soutenues par les États-Unis pour leur envoi de groupes armés et de cargaisons d’armes destinés à des cellules dormantes en Iran. La riposte se poursuit les jours suivants avec des attaques ciblées de drones et d’artillerie sur des objectifs précis.[12]
Ehud Yaari, chroniqueur média israélien Channel 12, pointe directement la responsabilité américaine dans ces émeutes : « Les Américains font des efforts pour activer Internet, après que les autorités iraniennes ont imposé une panne d’Internet pour perturber les réseaux sociaux, mais cela n’a pas aidé, et nous constatons une baisse très claire de la taille et de la force des manifestations ».[13]
Exemple de manipulation par l'image : seul l'angle de vue au sol est présenté avec le narratif adéquat pour donner l'impression d'une contestation importante.
Pour Erdogan, la bataille d’Arménie sera menée et il n’hésite pas à faire savoir que son armée y est préparée. L’enjeux n’est pas seulement idéologique : le projet chinois de ressusciter la Route de la Soie promet des retombées économiques importantes. Or, un Azerbaïdjan frontalier d’une Turquie écartée de son voisin iranien et de l’obstacle arménien permettrait un passage direct des marchandises et des énergies venues d’Asie centrale par la mer Caspienne et un acheminement du gaz azerbaïdjanais vers l’Union européenne qui a conclu le 18 juillet 2022 un accord avec ce pays producteur sans passer par l’Arménie.[14] La Turquie renforce également son assisse en procédant à des tirs d’artillerie sur des positions kurdes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) au nord de l’Irak le 29 septembre.
Le président iranien Ebrahim Raïsi et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan ont d’ailleurs longuement dialogué lors de leur rencontre à l’occasion de la 77ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies qui s’est déroulée du 19 au 26 septembre 2022. Nikol Pashinyan déclare à ce sujet : « S’il n’y a pas de position politique claire, il ne peut y avoir d’actions. À cet égard, nous coopérons très étroitement avec l’Iran. Vous avez vu que j’ai rencontré le président de l’Iran à New York. Nous avons eu une discussion très longue et détaillée, nous avons parlé du développement de nos relations et nous avons également discuté de la situation régionale. Nous entretenons des relations très intenses, des visites mutuelles ont lieu, des discussions de travail ont lieu, des conversations téléphoniques et, bien sûr, nous sommes intéressés à développer nos relations avec l’Iran et nous essayons de prendre le maximum de mesures pratiques possibles dans cette direction ». Il n’hésite pas à mettre en garde : « Nous protégerons l’ensemble de notre terre et de nos territoires et nous nous opposerons à toute conspiration visant à séparer l’Iran et l’Arménie. »[15]
La situation pour l’Iran est complexe : véritable puzzle ethnique, la fracturation de l’Irak en zones d’influence ethniques fait peser sur l’Iran la menace de soulèvements au Khouzestan majoritairement peuplés d’Arabes descendants des envahisseurs arabo-musulmans du 7ème siècle, en Azerbaïdjan iranien (région peuplée d’azéris mais depuis toujours iranienne) où des éléments pan-turquistes ont brûlé le drapeau iranien durant ces évènements et affiché le drapeau azerbaïdjanais dans la ville iranienne de Meshgin Shahr, et, dans une moindre mesure, au Kurdistan iranien.
Vidéo : Drapeau iranien brûlé par des pro-Turcs
Vidéo : Drapeau azéri à Meshgin Shahr
Quelles conséquence pour l’Iran ? Développer le séparatisme de régions périphériques pour découper l’Iran en plusieurs pays, dont il est aisé de deviner pour l’Azerbaïdjan iranien de son rattachement à la Turquie touranienne. Importer le conflit religieux qui a ravagé la Syrie et l’Irak et voir les takfiristes massacrer les shî’ites, les chrétiens, les juifs et les zoroastriens qui vivent ensemble en paix en Iran.[16] Quels bénéficiaires ? La Turquie, bien évidemment, mais également l’Arabie saoudite qui affaiblirait considérablement son rival régional, ainsi que les États-Unis et Israël qui profiteraient d’un effondrement de leur ennemi iranien. L’interrogation de suspecter une nouvelle guerre par procuration des États-Unis via leur allié turc membre de l’OTAN est permise…
Une semaine après le déclenchement des émeutes en Iran, l’hystérie collective occidentale ne retombe pas. Des manifestations sont organisées et dégénèrent parfois comme à Athènes lorsque l’ambassade d’Iran fut la cible d’un cocktail Molotov dans la nuit du 24 au 25 septembre ou à Paris lorsque la police française usera de gaz lacrymogène pour éloigner les manifestants de l’ambassade le 25. Là encore, des cibles bien définies et un double discours occidental : la police iranienne est forcément coupable sans que l’enquête n’ait encore été achevée alors que ceux-là même qui la condamnent ne s’indignent pas de voir la police française matraquer des manifestants… Et qu’en est-il de l’indignation concernant la mort de Zainab Essam Majed al-Khazali, une jeune irakienne âgée de 15 ans et assassiné d’une balle américaine près de Bagdad le 20 septembre ?
Zainab Essam Majed al-Khazali
Vidéo : Manifestations de femmes en soutien à la République islamique
Vidéo : Manifestations de soutien à la République islamique, avenue Enqelâb, Téhéran
Vidéo : Manifestations de soutien à la République islamique dans le métropolitain de Téhéran
Vidéo : Manifestations de soutien à la République islamique, université de Téhéran
Le 29 septembre 2022, la brigade des Hosseyniyoun[17] informe que des armes en provenance d'Israël avait été acheminées en Azerbaïdjan tout au long du mois de septembre via les vols réguliers des compagnies aériennes azerbaïdjanaises effectuant la liaison entre les deux pays. De plus, l'Azerbaïdjan dispose à sa frontière avec l'Iran de combattants takfiristes de Dâ'esh stationnés là sous l'organisation des Israéliens.
Toujours ce même jour, les États-Unis annoncent par la voix du porte-parole du département d'État, Vedant Patel, la mort d'un de leurs ressortissants durant les représailles iraniennes contre les bases terroristes kurdes situées dans le Kurdistan irakien. Ce qu'ils ne précisent pas, c'est la raison de la présence d'un des leurs dans une telle base : qui était-il et qu'y faisait-il ? Les « lois sur la vie privée » sont invoquées pour justifier ce silence. Selon certaines sources, il pourrait s’agir d’un officier supérieur de l’armée américaine.
Le 30 septembre, les Hashd al-Sha'bi annoncent une opération conjointement menée entre l'armée et le renseignement irakien et les 21ème, 25ème et 41ème brigades des Hashd al-Sha'bi (issues respectivement des formations combattantes Liwâ Badr, Quwât al-Shahid al-Awal et Asâ’eb Ahl Haq)[18] dans le sud de Mossoul afin de détruire des cellules dormantes de Da'esh qui n'a de cesse de se renforcer depuis 2021.[19]
Le ministère iranien du Renseignement, dans un communiqué publié le 30 septembre, accuse « les services de renseignement occidentaux d’organiser des formations, dont certaines ont eu lieu dans certains pays de la région, sur la manière de combattre le régime de la République islamique, de provoquer la désobéissance civile et le sabotage ». Il poursuit en précisant que « des citoyens étrangers d’Allemagne, de Pologne, d’Italie, de France, des Pays-Bas, de Suède et d’autres ont été arrêtés sur les lieux des émeutes ou dans les coulisses du complot » et indique que « des agents d’organisations d’espionnage étrangères, des États-Unis et de la Grande-Bretagne ont participé à ces manifestations ».[20] Au cours de ces émeutes, les autorités iraniennes ont arrêté 49 membres de l’OMPI, 77 de partis kurdes anti-iraniens, 92 monarchistes et 5 terroristes takfiristes arrêtés avec en leur possession 36 kilogrammes d'explosif.[21] Il semblerait que ces derniers projetaient également des attaques à Shiraz à l'occasion d'un cortège funéraire et à Mashhad sur la place des Martyrs. Trois dirigeants baha'is ainsi que deux membres de leur équipe de communication ont été arrêtés, de même que neuf ressortissants étrangers venant d'Allemagne, de France, de Grande-Bretagne, d'Italie, des Pays-Bas, de Pologne et de Suède. Les services de renseignements allemands sont particulièrement visés pour leur rôle dans l’organisation de ces émeutes à la vue de sa forte représentation parmi les agents étrangers arrêtés.
L’attaque terroriste dans le Balouchistan du 30 septembre
Le 30 septembre 2022, des affrontements armés éclatent à Zâhedân, dans le Baloutchistan, région située au sud-est de l'Iran et frontalière avec le Pakistan, lorsque des séparatistes baloutches (de confession sunnite) tirent sur des fidèles en prière à la mosquée sunnite Maki. Ceux-ci visent ensuite le poste de police 16 avec des cocktails molotov et des échanges de tirs s'ensuivent. Un camion de pompier, un poste de secours, une boulangerie et une banque ont également été incendiés.
Le bilan est de 19 morts et 20 blessés et comprend les membres des forces de l'ordre ; 3 pâsdârân figure parmi les victimes[22] : le pasdâr Mohammad Amin Azashkar, le basidji Mohammad Amin ‘Arefi, ainsi que le général de brigade pâsdâr Seyed Hamid-Rezâ Hâshemi[23], commandant du département de renseignement du CGRI dans la province du Sistan-et-Baloutchistan connu sous le pseudonyme de Seyed ‘Ali Mousavi, abattu par un tireur d’élite[24]. Là encore, les cibles ne sont pas visées au hasard : un haut gradé du CGRI, des fidèles sunnites… Et une fois de plus, les médias occidentaux mentent et manipulent l’information en déclarant qu’il s’agit de « manifestations réprimées par le régime ». Le groupe terroriste Djaish al-Adel (« armée de la justice ») – que les Iraniens renomment Djaish al-Zolm, signifiant « armée de la répression » – revendique les attentats ; ce groupe lié à al-Qaïda affirme lutter pour l’indépendance du Baloutchistan.
Les opérations de police ne tardent pas et deux importants responsables de ce groupe terroristes sont abattus (Abdoul Madjid Rigi et Yaser Shahbakhsh) et huit de ses membres arrêtées. Une cargaison comprenant 90 armes et 60 000 munitions est également interceptée à la frontière. Le bilan des victimes s’alourdit le 1er octobre avec le décès des suites de ses blessures du basidji Sa’id Berhânzehi Rigi, de confession sunnite. Une fois de plus, la propagande iranophobe s’effondre d’elle-même devant les faits : les sunnites qui sont en Iran une minorité religieuse peuvent intégrer le Basidj dans la République islamique d’Iran shî’ite !
Le pâsdâr ‘Ali Beyk est tué le soir du 1er octobre alors qu’une escouade terroriste tente de prendre d’assaut la gare de Khândjak Zâhedân, Une autre escouade affronte les Gardiens de la Révolution et les garde-forestier (takâvari qatâr) dans le nord de Zâhedân. Un autre dirigeant de Djaish al-Adel, Nasser Rigi, est arrêté au matin du 2 octobre.
Attentat à Kaboul : les Hazâras sh’îtes une nouvelle fois martyrisés
Ce vendredi 30 septembre 2022 est décidément un jour noir pour la région. À Kaboul, un attentat perpétré par un kamikaze fait 35 morts et 82 blessés. La cible n’est autre qu’un centre de formation dans laquelle étudient de nombreux enfants hazâras – peuple de confession shî’ite représentant environ 15% de la population afghane et s’avérant être la minorité la plus pauvre –, située dans le quartier de Dasht-é Barchi, à proximité de la mosquée Wezir Akbar Khân. Parce que shî’ites, les Hazâras sont la cible de Dâ’esh au Khorasan, l’émanation régionale de Dâ’esh dans la région.
Victimes de l'attentat du vendredi 30 septembre 2022 à Kaboul (Afghanistan).
Le plus abject n’est autre que le silence de ceux qui instrumentalisèrent le décès de Mademoiselle Amini : ni aucun média, ni aucune célébrité, ne manifeste un soutien quelconque pour ces jeunes filles et garçons sauvagement assassinés. Il n’y a pas de hashtag « fille Afghanistan » et pas non plus de « militante » qui se coupent les cheveux pour les soutenir… Il y a pourtant de quoi faire avec les Hazâras en matière de défense des minorités et des droits de l’Homme… Originaires des hauts plateaux isolés et pauvres du centre de l'Afghanistan historiquement connus sous le nom de Hazâradjat, les Hazâras, dont les traits mongols et leur adoption du Shî’isme les caractérisent, ont longtemps été persécutés par les dirigeants afghans, majoritairement de religion sunnite et d’ethnie pachtoune. RT France publie le 1er octobre un article[25] sur le sujet et détaille l’histoire tourmenté des Hazâras :
« Par le passé, les Taliban s'en sont régulièrement pris à cette minorité chiite. Lors de leur première marche vers le pouvoir à partir de 1994, les Taliban s’étaient trouvés en conflit avec elle dans de nombreuses régions, notamment à Mazar-i-Sharif et Bamyan. En 1995, Ali Mazari, le leader le plus important des chiites hazaras, avait été tué, et la mise en place du premier gouvernement taliban en 1997 avait lancé le signal de départ d’une violente répression, poussant de nombreux Hazaras sur les chemins de l’exil.
Les djihadistes avaient en effet assiégé le Hazarajat en 1998. […] De 2001 et 2021, le gouvernement central de Kaboul, appuyé par les Occidentaux, se voulait plus inclusif et plus respectueux des minorités religieuses du pays. La communauté hazara avait de fait été relativement épargnée par les attentats.
Même si les Taliban n'ont pas explicitement pris des mesures hostiles aux Hazaras et se veulent désormais plus «inclusifs» comparé aux années 1990, plusieurs actes témoignent toujours d'une volonté de marginaliser cette communauté. Dès leur prise de pouvoir, les nouveaux maîtres de Kaboul ont en effet décapité la statue d’Abdul Ali Mazari, leader de la résistance anti-Taliban en 1995, dans la région de Bamiyan.
Amnesty International s'est par ailleurs alarmée des tortures et des exactions commises par les Taliban contre la minorité chiite. […]
L’Émirat taliban autoproclamé ne semble ainsi pas tenir ses promesses en termes de respect du droit des minorités. Parmi les nominations de responsables aux divers postes ministériels, on compte majoritairement des chefs Taliban de longue date, essentiellement pachtounes, une ethnie qui représente les deux cinquièmes des Afghans. En revanche, un seul Hazara a obtenu un poste de ministre adjoint de la Santé. De ce fait, les Hazaras regardent de plus en plus vers l'Iran, considéré comme le parrain naturel de leur communauté. »
L’Iran et l’Afghanistan partagent 920 kilomètres de frontière commune et près de trois millions de Hazâras ont trouvé refuge en Iran. Cette assistance et protection de leurs coreligionnaires n’est pas sans provoquer des tensions :
« Les Taliban étaient farouchement anti-iraniens lors de leur première expérience du pouvoir. Ils ont d'ailleurs été accusés d'avoir conduit en 1998 un raid contre l’ambassade iranienne à Mazar-i-Sharif et du meurtre de plusieurs diplomates iraniens. Téhéran avait alors apporté son soutien à l’Alliance du Nord, la résistance aux Taliban. Les relations bilatérales se sont encore plus envenimées par la politique d'exclusion conduite contre les Hazaras et bien plus encore en raison du trafic de drogue à la frontière et par les difficultés posées à la construction du chemin de fer devant relier la ville iranienne de Machhad à celle de Herat en Afghanistan.
C’est dans ce contexte de montée des tensions que l’Iran a conçu un véritable « plan de guerre » contre les Taliban et lancé des expéditions intensives depuis la frontière afghane au début des années 2000. »
Face à la menace que représente Dâ’esh au Khorasan, les Taliban tentent de lutter contre le groupe terroriste qu’ils considèrent comme un ennemi. De plus, les Fâtemiyoun les inquiètent en raison de leur reconnaissance de l’autorité du Guide de la Révolution ‘Ali Khâmenei et de leur avertissement qu’ils n’hésiteraient pas à intervenir en Afghanistan protéger les leurs si nécessaire, forts de leur expérience de Défenseurs du Sanctuaire contre Dâ’esh en Syrie et en Irak.[26]
[1] Cf. notre ouvrage Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique, L’Harmattan, 2022, pp. 100-121.
[2] André Malraux, Les Noyers de l’Altenburg, Gallimard, 1948, pp. 70-71.
[3] Cf. notre ouvrage Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique, p. 153.
[4] Un policier a raconté comment les émeutiers lui avaient tranché la gorge, IRNA, 25 septembre 2022 (https://fr.irna.ir/news/84897213/Un-policier-a-racont%C3%A9-comment-les-%C3%A9meutiers-lui-avaient-tranch%C3%A9).
[5] Le meurtre d'un secouriste par des fauteurs de troubles dans le nord de l'Iran, IRNA, 25 septembre 2022 (https://fr.irna.ir/news/84897558/Le-meurtre-d-un-secouriste-par-des-fauteurs-de-troubles-dans).
[6] Iran : des membres de Daech et du parti Komala arrêtés lors des émeutes à Mazandaran, al-Manar, 25 septembre 2022 (https://french.almanar.com.lb/2438548).
[7] Haut-Karabakh : des mercenaires syriens, soutenus par la Turquie, épaulent l'Azerbaïdjan, France 24, 2 octobre 2020 (https://www.france24.com/fr/20201002-haut-karabakh-des-mercenaires-syriens-soutenus-par-la-turquie-%C3%A9paulent-l-azerba%C3%AFdjan).
[8] Des mercenaires libyens envoyés au Haut-Karabakh aux côtés de l'Azerbaïdjan, RFI, 7 octobre 2020 (https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20201007-mercenaires-libyens-haut-karabakh-combattre-c%C3%B4t%C3%A9-l-azerba%C3%AFdjan).
[9] Valérie Toranian, Erdogan à l’assaut des Arméniens du Karabakh, La Revue des Deux Monde, 28 septembre 2020 (https://www.revuedesdeuxmondes.fr/erdogan-a-lassaut-des-armeniens-du-karabakh/).
[10] La répression des manifestations en Iran a fait plus de 75 morts en dix jours, selon une ONG, France Info, 26 septembre 2022 (https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/la-repression-des-manifestations-en-iran-a-fait-plus-de-75-morts-en-10-jours-selon-une-ong_5382643.html).
[11] Le CGRI bombarde des positions de groupes kurdes iraniens dans le Kurdistan irakien, al-Manar, 24 septembre 2022 (https://french.almanar.com.lb/2438207).
[12] Marzieh Rahmani, IRGC pounds terrorists' positions in N Iraq (« Le CGRI pilonne les positions des terroristes en Irak du Nord »), Mehr News Agency, 26 septembre 2022 (https://en.mehrnews.com/news/191829/IRGC-pounds-terrorists-positions-in-N-Iraq). La base des terroristes anti-iraniens dans le nord de l'Irak, de nouveau, visée par le CGRI, IRNA, 26 septembre 2022 (https://fr.irna.ir/news/84898033/La-base-des-terroristes-anti-iraniens-dans-le-nord-de-l-Irak).
[13] Iran contained protests, Washington's efforts failed: Israeli Media (« L’Iran a contenu les protestations, les efforts de Washington ont échoué : médias israéliens »), al-Mayadeen, 24 septembre 2022 (https://english.almayadeen.net/news/politics/iran-contained-protests-washingtons-efforts-failed:-israeli).
[14] Gaz : l'UE se tourne vers l'Azerbaïdjan pour diversifier ses approvisionnements, France 24, 18 juillet 2022 (https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220718-gaz-l-ue-se-tourne-vers-l-azerba%C3%AFdjan-pour-diversifier-ses-approvisionnements).
[15] Armenia eyes on deepening partnership with Iran: Pashinyan (« L’Arménie envisage d’approfondir son partenariat avec l’Iran : Pashinyan »), Mehr News Agency, 1er octobre 2022 (https://en.mehrnews.com/news/191957/Armenia-eyes-on-deepening-partnership-with-Iran-Pashinyan).
[16] Cf. notre ouvrage La Constitution de la République islamique d’Iran, Perspectives libres, 2021.
[17] Cf. notre ouvrage Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique, p. 90.
[18] Cf. notre ouvrage Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique, pp. 218-222.
[19] Cf. Laurent Perpigna Iban, En Irak, le retour de Daech, Le Monde diplomatique, décembre 2021 (https://www.monde-diplomatique.fr/2021/12/PERPIGNA_IBAN/64139).
[20] Iran : les services de renseignement dévoilent l’implication d’étrangers européens aux émeutes, al-Manar, 30 septembre 2022 (https://french.almanar.com.lb/2443839).
[21] Déclaration importante du ministère iranien des Renseignements sur les récentes émeutes, IRNA, 30 septembre 2022 (https://fr.irna.ir/news/84900779/D%C3%A9claration-importante-du-minist%C3%A8re-iranien-des-Renseignements).
[22] Zahedan terrorist attack left 3 IRGC, Basij martyrs (« L’attaque terroriste de Zahedan a laissé 3 martyrs du CGRI et du Bassidj »), IRNA, 1er octobre 2022 (https://en.irna.ir/news/84901056/Zahedan-terrorist-attack-left-3-IRGC-Basij-martyrs). 3 IRGC forces martyred in Zahedan terrorist attack (« 3 forces du CGRI martyrisées dans l’attaque terroriste de Zahedan »), Mehr News Agency, 1er octobre 2022 (https://en.mehrnews.com/news/191953/3-IRGC-forces-martyred-in-Zahedan-terrorist-attack).
[23] IRGC to give a decisive response to mercenares: statement (« Le CGRI va donner une réponse décisive aux mercenaires : déclaration »), Mehr News Agency, 1er octobre 2022 (https://en.mehrnews.com/news/191946/IRGC-to-give-a-decisive-response-to-mercenaries-statement).
[24] IRGC Official’s Assassin Dead : Source (« Assassin d’un officiel du CGRI : Source »), Tasnim, 1er octobre 2022 (https://www.tasnimnews.com/en/news/2022/10/01/2782006/irgc-official-s-assassin-dead-source).
[25] Afghanistan : nouvel attentat à Kaboul, la communauté chiite hazara éternelle victime, RT France, 1er octobre 2022 (https://francais.rt.com/international/101390-afghanistan-nouvel-attentat-kaboul-communaute-chiite-hazara-eternelle-victime).
[26] Cf. notre ouvrage Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique, pp. 88-89. Pour le soutien iranien à l’Alliance du Nord par la force Qods commandée par le général Qâsem Soleimâni, voir également dans cet ouvrage, p. 36.
Complément rajouté le 22 janvier 2023 à la partie intitulée L’attaque terroriste dans le Balouchistan du 30 septembre
Ce n’est pas la première fois que des groupes terroristes baloutches sunnites sont associés à des actions de déstabilisation en Iran. Mark Perry, analyste principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft basé à Washington, dévoile en janvier 2013 des notes de la CIA datant de l’administration George W. Bush et décrivant les méthodes du Mossad pour recruter des combattants du groupe terroriste Djundâllâh en se faisant passer pour des agents de renseignements américains à l’aide de faux passeports. Il écrit : « Les mémos, tels que décrits par les sources, dont l’une les a lus et un autre qui connaît intimement l’affaire, ont enquêté et démystifié des rapports de 2007 et 2008 accusant la CIA, sous la direction de la Maison Blanche, de soutenir secrètement Jundallah – une organisation extrémiste sunnite basée au Pakistan. Jundallah, selon le gouvernement américain et des rapports publiés, est responsable de l’assassinat de responsables du gouvernement iranien et du meurtre de femmes et d’enfants iraniens. »[1] Fondé en 2003, Djundâllâh est notamment responsable de multiple enlèvements de civils et militaires iraniens et de plusieurs attentat-suicide dont celui du 18 octobre 2009 dans lequel trouvent la mort 42 personnes dont 5 officiers supérieur du CGRI.[2] Alors que les « activités de recrutement d’Israël se sont déroulées sous le nez des agents de renseignement américains, notamment à Londres », il semblerait que les États-Unis se soient déjà essayés à ce jeu dangereux selon une série d’articles parus entre 2007 et 2009 dans les médias américains ABC News[3], The Christian Science Monitor[4], Global Policy Forum[5], The New-Yorker[6] ou bien encore Public Broadcasting Service (PBS)[7], ainsi que les médias britanniques comme The Telegraph[8].
Brian Ross et Christopher Isham déclarent : « Des sources gouvernementales pakistanaises affirment que la campagne secrète menée contre l’Iran par Jundullah était à l’ordre du jour lorsque le vice-président Dick Cheney a rencontré le président pakistanais Pervez Musharraf en février. Un haut responsable du gouvernement américain a déclaré que des groupes tels que Jundullah ont été utiles pour suivre les chiffres d’Al-Qaïda et qu’il était approprié pour les États-Unis de traiter avec de tels groupes dans ce contexte. » Djundâllâh, également décrit comme « responsable d’une série de raids meurtriers de guérilla en Iran, a été secrètement encouragé et conseillé par des responsables américains depuis 2005 »… Dans son article cosigné avec Richard Esposito, il est écrit :
« Comme indiqué précédemment sur le Blotter on ABCNews.com, les États-Unis ont soutenu et encouragé un groupe militant iranien, Jundullah, qui a mené des raids meurtriers à l’intérieur de l’Iran à partir de bases situées dans la « région frontalière » accidentée Iran-Pakistan-Afghanistan. Les responsables américains nient tout « financement direct » des groupes de Jundullah, mais affirment que le chef de Jundullah était en contact régulier avec des responsables américains. Des sources du renseignement américain affirment que Jundullah a reçu de l’argent et des armes par l’intermédiaire de l’armée afghane et pakistanaise et des services de renseignement pakistanais. Le Pakistan a officiellement nié tout lien. ».
Les deux journalistes rappellent également la capture le 20 mai 2007 de dix personnes traversant la frontière avec sur eux 500 000 dollars en espèces ainsi que des « cartes des zones sensibles » et du « matériel d’espionnage moderne ». « Un haut responsable pakistanais a déclaré à ABCNews.com que les 10 hommes étaient membres de Jundullah. Le chef du groupe Jundullah, selon le responsable pakistanais, a recruté et formé « des centaines d’hommes » pour des « missions non spécifiées » de l’autre côté de la frontière en Iran. »
Le journaliste d’investigation Seymour M. Hersh note à propos des activités secrètes américaines que ces dernières « impliquent un soutien aux groupes minoritaires arabes ahwazis et baloutches et à d’autres organisations dissidentes ». Il poursuit :
« Les opérations clandestines contre l’Iran ne sont pas nouvelles. Les forces d’opérations spéciales des États-Unis mènent des opérations transfrontalières à partir du sud de l’Iraq, avec l’autorisation du Président, depuis l’année dernière [2007]. Il s’agit notamment de saisir des membres d’Al Quds, le bras commando des Gardiens de la révolution iranienne, et de les emmener en Irak pour interrogatoire, et de poursuivre des « cibles de grande valeur » dans la guerre du président contre le terrorisme, qui pourraient être capturées ou tuées. Mais l’ampleur et la portée des opérations en Iran, qui impliquent la Central Intelligence Agency et le Joint Special Operations Command (jsoc), ont maintenant été considérablement élargies, selon les responsables actuels et anciens. Bon nombre de ces activités ne sont pas spécifiées dans la nouvelle conclusion, et certains dirigeants du Congrès ont eu de sérieuses questions sur leur nature. »[9]
Plusieurs centaines de millions de dollars furent dépensées pour financer des opérations secrètes en Iran « à partir d’une base obscure dans l’ouest de l’Afghanistan », celles-ci « se déroulent essentiellement parallèlement à celles d’une force opérationnelle militaire secrète, opérant actuellement en Iran, qui est sous le contrôle du JSOC. »
Seymour M. Hersh rapporte dans son article les propos de Robert Baer, « un ancien officier clandestin de la CIA qui a travaillé pendant près de deux décennies en Asie du Sud et au Moyen-Orient », à propos de la problématique rencontrée par l’utilisation de ces éléments comme main-d’œuvre pour des opérations clandestines : « Les Baloutches sont des fondamentalistes sunnites qui détestent le régime de Téhéran, mais vous pouvez aussi les décrire comme Al-Qaïda. Ce sont des gars qui coupent la tête des non-croyants – dans ce cas, ce sont des Iraniens chiites. L’ironie est que nous travaillons à nouveau avec les fondamentalistes sunnites, tout comme nous l’avons fait en Afghanistan dans les années quatre-vingt. ». Les États-Unis avaient en effet financé, armé et instruit les combattants afghans opposés à l’invasion de leur pays par les troupes soviétiques (décembre 1979 – février 1989) et notamment Oussama ben Laden et son organisation al-Qaïda. Toujours rapporté par Hersh, Sam Gardiner, consultant du Pentagone, déclare quant à lui :
« Nous avons eu des résultats merveilleux dans la Corne de l’Afrique avec l’utilisation de substituts et de faux drapeaux – des tactiques de base de contre-espionnage et de contre-insurrection. Et nous commençons à les nouer en Afghanistan. Mais la Maison Blanche va tuer le programme s’ils l’utilisent pour s’en prendre à l’Iran. C’est une chose de se livrer à des frappes sélectives et à des assassinats au Waziristan et une autre en Iran. La Maison-Blanche estime qu’il existe une solution universelle, mais les questions juridiques entourant les exécutions extrajudiciaires au Waziristan sont moins problématiques parce qu’Al-Qaïda et les talibans traversent la frontière vers l’Afghanistan et vice-versa, souvent avec les forces américaines et de l’OTAN à leur poursuite. La situation est loin d’être aussi claire dans le cas iranien. Toutes les considérations – judiciaires, stratégiques et politiques – sont différentes en Iran. Il y a une énorme opposition au sein de la communauté du renseignement à l’idée de mener une guerre secrète à l’intérieur de l’Iran et d’utiliser les Baloutches et les Ahwazis comme substituts. […] L’Iran n’est pas le Waziristan. »[10]
Muhammad Sahimi rapporte quant à lui que « L’argent pour Jundullah a été acheminé à son chef, Abdelmalek Rigi, par l’intermédiaire d’exilés iraniens qui ont des liens avec les États européens et du Golfe. Les exilés iraniens sont les Mujahedin-e Khalgh (MKO). »
Le dirigeant de Djundâllâh, Abdâlmâlek Rigi (né en 1979), est capturé le 23 février 2010 par les Iraniens alors qu’il se rendait à Bichkek, au Kirghizistan, par le vol QH454 de Kirghizistan Airways en provenance de Dubaï, aux Émirats arabes unis, muni d’un faux passeport afghan. L’avion fut intercepté par deux appareils de la chasse iranienne et escorté jusqu’à l’aéroport de Bandar ‘Abâs où il sera contraint d’atterrir. Rigi capturé, les autorités iraniennes s’excusent auprès des autres passagers pour le contretemps en leur offrant de petits présents (généralement dans la cultures iranienne des sucreries, des pistaches ou du nougat) et laissent l’avion repartir. Les Américains contredisent cette version en déclarant qu’il fut arrêté par les services de renseignement pakistanais et livré à l’Iran, version également reprise par Djundâllah qui y voit l’œuvre des Américains et de leurs homologues afghans et pakistanais et n’hésite pas à juger l’Iran incapable d’arrêter leur terroriste en chef.[11] Pourtant, la version iranienne est confirmée par The Telegraph[12]et Public Broadcasting Service (PBS) qui note pour sa part : « Sans aucun doute, Rigi était soutenu par les services de renseignement pakistanais et travaillait avec les Américains et un certain nombre de pays arabes ; il est même allé en Arabie saoudite pour le Hajj. Tous ces camps ont utilisé Rigi comme pion, mais on ne sait pas encore ce qui s’est passé qui les a amenés à remettre ce pion à l’Iran. »[13] Le ministre iranien du Renseignement, Heydar Moslehi, a révélé que Rigi, suivi depuis cinq mois par des agents iraniens, se trouvait sur une base américaine la veille de son arrestation, une photographie présentée lors de sa conférence de presse montrant l’intéressé en compagnie de deux autre hommes devant ladite base militaire. Toujours selon ses déclarations, Rigi aurait rencontré en Afghanistan dans le courant de l’année 2008 Jaap de Hoop Scheffer, alors secrétaire général de l’OTAN, de même que le terroriste désormais neutralisé aurait circuler dans des pays européens.
Lors de son interrogatoire, filmé et diffusé, Rigi déclare que les États-Unis lui avait promis la fourniture de matériel militaire et de locaux dans une base militaire située à proximité de la frontière iranienne : « Les Américains ont dit... que nous n’avons pas de problème avec Al-Qaïda ou les talibans, mais le problème, c’est l’Iran et nous n’avons pas de programme militaire contre l’Iran. Ils ont promis de nous aider et ils ont dit qu’ils coopéreraient avec nous, libéreraient nos prisonniers et nous donneraient du matériel militaire, des bombes, des mitrailleuses, et ils nous donneraient une base »[14]. Il révèle également que son voyage au Kirghizistan avait pour but une réunion avec un haut responsable américain de la base Transit Center située à Manas[15]. Rigi dévoile même une rencontre avec « des « responsables de l’OTAN » au Maroc en 2007 qui a éveillé ses soupçons. « Quand nous y avons réfléchi, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il s’agissait soit d’Américains agissant sous la couverture de l’OTAN, soit d’Israéliens ». […] »[16]. Abdelmâlek Rigi sera jugé et condamné à mort pour terrorisme, son exécution ayant eu lieu par pendaison le 20 juin 2010.
[1] Mark Perry, False Flag (« Faux drapeau »), Foreign Policy, 13 janvier 2012 (https://foreignpolicy.com/2012/01/13/false-flag/, consulté le 21 janvier 2023).
[2] À ce propos, Mark Perry écrit : « En mai 2009, un kamikaze de Jundallah s’est fait exploser à l’intérieur d’une mosquée à Zahedan, la capitale de la province du Sistan-Baloutchistan, dans le sud-est de l’Iran, frontalière du Pakistan, lors d’une fête religieuse chiite. L’attentat a tué 25 Iraniens et en a blessé des dizaines d’autres. » « En août 2007, Jundallah a enlevé 21 chauffeurs de camion iraniens. En décembre 2008, il a capturé et exécuté 16 gardes-frontières iraniens – les meurtres horribles ont été filmés, dans un écho brutal de la décapitation de l’homme d’affaires américain Nick Berg en Irak aux mains d’Abou Moussab al-Zarqaoui d’Al-Qaïda. En juillet 2010, Jundallah a mené un double attentat-suicide à Zahedan devant une mosquée, tuant des dizaines de personnes, dont des membres du Corps des gardiens de la révolution islamique. »
[3] Brian Ross, Christopher Isham, ABC News Exclusive : The Secret War Against Iran (« ABC News Exclusive: La guerre secrète contre l’Iran »), ABC News, 3 avril 2007 (https://web.archive.org/web/20070623051645/http://blogs.abcnews.com/theblotter/2007/04/abc_news_exclus.html, consulté le 21 janvier 2023). Les auteurs déclarent dans cet article que le dirigeant de ce groupe terroriste, Abdolmalek Rigi prétend avoir personnellement exécuté certains des Iraniens capturés.
[4] Eoin O'Carroll, US backing 'secret war' against Iran ? (« Les États-Unis soutiennent une « guerre secrète » contre l’Iran ? »), The Christian Science Monitor, 5 avril 2007 (https://www.csmonitor.com/2007/0405/p99s01-duts.html, consulté le 21 janvier 2023).
[5] Brian Ross, Richard Esposito, Bush Authorizes New Covert Action Against Iran (« Bush autorise une nouvelle action secrète contre l’Iran »), Global Policy Forum, 22 mai 2007 (https://web.archive.org/web/20090715113518/https://www.globalpolicy.org/component/content/article/156/26454.html, consulté le 21 janvier 2023).
[6] Seymour M. Hersh, Preparing the Battlefield (« Préparation du champ de bataille »), The New-Yorker, 29 juin 2008 (https://www.newyorker.com/magazine/2008/07/07/preparing-the-battlefield, consulté le 21 janvier 2023).
[7] Muhammad Sahimi, Who supports Jundallah ? (« Qui soutient Jundallah ? »), Public Broadcasting Service (PBS), 22 octobre 2009 (https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/tehranbureau/2009/10/jundallah.html, consulté le 21 janvier 2023).
[8] William Lowther, Colin Freeman, US funds terror groups to sow chaos in Iran (« Les États-Unis financent des groupes terroristes pour semer le chaos en Iran »), The Telegraph, 25 février 2007 (https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/1543798/US-funds-terror-groups-to-sow-chaos-in-Iran.html, consulté le 21 janvier 2023).
[9] « Clandestine operations against Iran are not new. United States Special Operations Forces have been conducting cross-border operations from southern Iraq, with Presidential authorization, since last year. These have included seizing members of Al Quds, the commando arm of the Iranian Revolutionary Guard, and taking them to Iraq for interrogation, and the pursuit of “high-value targets” in the President’s war on terror, who may be captured or killed. But the scale and the scope of the operations in Iran, which involve the Central Intelligence Agency and the Joint Special Operations Command (jsoc), have now been significantly expanded, according to the current and former officials. Many of these activities are not specified in the new Finding, and some congressional leaders have had serious questions about their nature. »
[10] « The Pentagon consultant told me, “We’ve had wonderful results in the Horn of Africa with the use of surrogates and false flags—basic counterintelligence and counter-insurgency tactics. And we’re beginning to tie them in knots in Afghanistan. But the White House is going to kill the program if they use it to go after Iran. It’s one thing to engage in selective strikes and assassinations in Waziristan and another in Iran. The White House believes that one size fits all, but the legal issues surrounding extrajudicial killings in Waziristan are less of a problem because Al Qaeda and the Taliban cross the border into Afghanistan and back again, often with U.S. and nato forces in hot pursuit. The situation is not nearly as clear in the Iranian case. All the considerations—judicial, strategic, and political—are different in Iran.”
He added, “There is huge opposition inside the intelligence community to the idea of waging a covert war inside Iran, and using Baluchis and Ahwazis as surrogates. The leaders of our Special Operations community all have remarkable physical courage, but they are less likely to voice their opposition to policy. Iran is not Waziristan.” »
[11] Thomas Erdbrink, Iran arrests Sunni rebel accused of links with U.S. (« L’Iran arrête un rebelle sunnite accusé de liens avec les États-Unis »), The Washington Post, 23 février 2010 (https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/02/23/AR2010022301173.html, consulté le 22 janvier 2023).
[12] Richard Spencer, Andrew Osborn, Bruno Waterfield, Iran arrests most wanted man after police board civilian flight (« L’Iran arrête l’homme le plus recherché après que la police a embarqué sur un vol civil »), The Telegraph, 23 février 2010 (https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/iran/7300767/Iran-arrests-most-wanted-man-after-police-board-civilian-flight.html, consulté le 22 janvier 2023).
[13] Rigi snagged (« Rigi accroché »), Public Broadcasting Service (PBS), 23 février 2023 (https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/tehranbureau/2010/02/rigi-snagged.html, consulté le 22 janvier 2023).
[14] Iran Jundullah leader claims US military support (« Le chef du Jundullah iranien revendique le soutien militaire américain »), BBC, 26 février 2010 (http://news.bbc.co.uk/2/hi/middle_east/8537567.stm, consulté le 22 janvier 2023).
[15] Celle-ci abritait principalement la 376ème Escadre expéditionnaire aérienne (376th Air Expeditionary Wing) et fut fermée en 2014.
[16] Mark Perry, op. cit.